Alors que le gouvernement cherche à s’adapter au scénario « pessimiste » où le climat serait de 4°C supérieur en 2100 par rapport à l’ère préindustrielle, le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a rappelé la nécessité d’adapter la société aux conséquences du changement climatique. Il a rappelé que, si l’on peut réduire son importance, le changement climatique aura des conséquences « inéluctables et irréversibles » sur l’environnement et les constructions humaines auxquelles il faut se préparer maintenant. Sur ce point, la Cour se montre critique de l’action gouvernementale, son premier président arguant que l’Etat ne joue pas assez son rôle de stratège.

L’adaptation est en effet pointée dans le rapport comme un angle mort de l’action publique. En premier lieu car, selon la Cour des comptes, nous disposons de trop peu d’informations à son sujet. Le coût des mesures à mettre en place est jugé impossible à estimer de l’aveu de la Cour des comptes et beaucoup d’éléments restent dans le flou (intensité du recul du trait de côte, fréquence des catastrophes naturelles etc.). La Cour pointe cependant des leviers d’action pour agir aujourd’hui et éviter des dépenses futures.

 

Adapter le logement au changement climatique 

Si les normes récentes intègrent l’adaptation au changement climatique en assurant le confort d’été, celles-ci s’imposent uniquement aux constructions neuves. Or Il est nécessaire d’adapter l’intégralité du parc existant. Les travaux de ventilation et d’isolation, qui contribuent au confort d’été, ne représentent que le quart des dossiers de « MaPrimeRénov’’ », les trois quarts restants concernent le changement de mode de chauffage et donc l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre. À défaut d’une adaptation des logements, le recours à la climatisation pourrait être massif, créant une surconsommation d’énergie et des îlots de chaleur en milieu urbain. De même le phénomène de retrait-gonflement des sols argileux crée un risque accru d’inondations auquel plus de la moitié des maisons individuelles sont moyennement ou fortement exposées.

Or, l’adaptation au changement climatique du parc de logements existants bénéficie de crédits budgétaires peu coordonnés. L’éventail des mesures possibles comprend la sensibilisation, la modification des usages s’agissant du confort d’été ou même la transformation radicale du parc de logements relevant de nouvelles politiques d’urbanisme. La cour recommande donc de :

-          Soutenir les projets de recherche relatifs à la prévention des risques d’inondation et de retrait-gonflement des sols argileux

-          Intégrer des procédés de protection solaire aux travaux éligibles aux dispositifs de soutien à la rénovation énergétique des logements.

-          Sensibiliser le grand public aux risques sur les logements que constituent les pics de chaleur, le phénomène du retrait-gonflement et les inondations

Ces préconisations s’appliquent également à l’immobilier public. Le parc immobilier de l’Etat est constitué de 192 000 bâtiments d’une surface totale de 94,4 millions de mètres carrés, et très diversifiés dans leurs natures (bureaux, logements, universités, musées, prisons, palais de justice, etc.) et leurs localisations avec un risque accru dans les régions et départements méridionaux ou ultramarins qui représentent un tiers des locaux. Le rapport insiste sur la nécessité d’une approche partenariale avec les collectivités territoriales, détentrices d’importants parcs immobiliers, et les utilisateurs des bâtiments de l’État, qu’ils soient usagers ou agents.

 

Adapter les villes au changement climatique 

Les villes dans leur globalité doivent également s’adapter. Le rapport rappelle que Paris, qui a connu un record de chaleur à 42,6 °C le 25 juillet 2019, est la capitale européenne la plus exposée en cas de canicule. L’augmentation des températures constitue la partie la plus visible du changement climatique et occupe une place prééminente dans les stratégies d’adaptation mises en place, notamment à travers la végétalisation. Malgré tout, celle-ci ne permet pas de répondre à tous les enjeux associés aux épisodes de canicule et elle doit s’articuler avec des mesures plus efficaces à court terme. La Cour recommande donc de :

-          Rationaliser au niveau national les documents de planification traitant de l’adaptation au changement climatique

-          Associer les communes à la planification locale de l’adaptation, en élaborant des stratégies conjointes avec le niveau intercommunal

-          Mettre en œuvre l’obligation de programmation financière pour l’exécution des dépenses d’adaptation

-          Introduire dans le socle commun des stratégies locales d’adaptation des objectifs d’augmentation et de préservation de la surface des espaces verts

 

Prévoir le recul du trait de côte 

La nécessité de s’adapter au changement climatique passe aussi par la lutte contre le recul du trait de côte. 10% de la population métropolitaine se concentrent sur le littoral, voire deux à six fois plus l’été alors que 20% des côtes sont en recul. Il y a donc un enjeu fort autour de ces espaces que la Cour chiffre en dizaine de milliards d’euros (sans pouvoir fournir un chiffre plus précis) et à cet aune, elle juge la protection contre ce risque insuffisante dans les politiques d’urbanisme et d’aménagement. La raison principale évoquée dans le rapport est le défaut de structuration et de coordination entre les nombreux acteurs privés et publics juridiquement compétents en la matière. À ces difficultés s’ajoutent des obstacles juridiques et financiers à la relocalisation des biens menacés. La loi « Climat et résilience » a permis d’en lever certains en facilitant les projets de recomposition spatiale mais la faible acceptabilité locale et le coût de ces projets freinent leur réalisation. Il n’est donc guère surprenant que le mode historique d’intervention, la digue, soit encore privilégié sans être pour autant le plus efficace. La Cour recommande donc de :

-          Couvrir l’ensemble des territoires fortement menacés par le recul du trait de côte d’un diagnostic du risque opposable aux autorisations d’urbanisme

-          Faire de la gestion du trait de côte une mission obligatoire de la GeMAPI exercée par le bloc communal

-          Opérer un suivi des coûts et financements actuels de la gestion du trait de côte afin de prévoir les besoins futurs

-          Mettre en place un dispositif instituant une solidarité financière entre territoires littoraux et comprenant un reste à charge pour chaque collectivité financé sur ses ressources

Etienne Eline

Pour télécharger le rapport : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/le-rapport-public-annuel-2024