« Dessinons le territoire avec l’eau », invitait le « 5 à 7 » du Club Ville Aménagement conçu et animé par Ariella Masboungi, le 24 avril, avec pour invitée Paola Viganò(1), Grand prix de l’urbanisme 2013. L’architecte urbaniste italienne a notamment présenté son travail d’étude mené avec l’université de Liège sur la résilience aux inondations du bassin versant de la Vesdre, en Belgique, marqué par des crues catastrophiques en juillet 2021. Pour réparer et adapter le territoire, elle en appelle à une stratégie urbaine et territoriale d’ensemble, qui ne se limite pas à des approches technicistes. « On doit comprendre les rationalités du vivant – comment l’eau occupe son espace – et comment nous avons transformé ces rationalités. Comprendre aussi que toute action doit être collective puisqu’il en va de l’intérêt public et du bien commun. Et faire l’effort de penser l’impensable, la catastrophe : les habitants nous parlaient de la Vesdre comme d’un petit animal domestique, ils avaient oublié qu’elle pouvait devenir violente ». 

Dans cette vallée transformée par la révolution industrielle et aujourd’hui en déclin, « il n’y aura pas de résilience sans des formes de solidarité : celle-ci est structurelle à l’idée de résilience », souligne Paola Viganò. « Ce n’est pas dans le fond de vallée qu’on va trouver des solutions mais à l’échelle de tout le bassin versant. Les territoires environnants, et notamment agricoles, ont des responsabilités évidentes. Chaque commune doit agir en amont sur les questions hydrauliques. Or ces communes sont dépassées par la lourdeur des enjeux : nous sommes là dans une ville diffuse qui n’a pas vraiment de projet ».  

Les grandes plaques d’activité monofonctionnelle sont à revoir, en imaginant « une transition vers la multifonctionnalité et la qualité de l’espace public pour participer à une vie urbaine », en reconstruisant des paysages : « restaurer les tourbières, restaurer les bocages qui pourraient contribuer à réduire de 40 % l’écoulement de l’eau, transformer les forêts ». Le fonctionnement social est à reconsidérer : création d’écoles, de transports en commun, de micro-centralités…

Pour la suite, « se préparer [aux bouleversements climatiques] ne suffit pas. C’est à une adaptation structurelle qu’il faut procéder, en changeant les priorités et les systèmes de valeurs. La crise est aussi l’occasion de réfléchir plus largement à l’avenir du territoire ». Trois piliers devraient guider la réflexion : « Tout d’abord réfléchir sur la manière de reconstruire la ville et le territoire de la transition : avoir une culture du territoire construit, avec une adaptation agricole, une adaptation des infrastructures de transport… Mais aussi mettre en discussion des droits à construire acquis de longue date, au regard de la catastrophe à venir. Enfin développer la culture du risque, c’est-à-dire garder la mémoire du risque et apprendre à vivre avec ». 

« Il y a une urgence de l’adaptation », abonde Ariella Masboungi, rappelant que les assureurs ont estimé à 10 milliards d’euros en 2022 le coût des sinistres climatiques, et autant en 2023. « Ces sujets ne sont pas suffisamment pris en compte dans les politiques d’aménagement du territoire ».

Le « débatteur » de ce 5 à 7, Romain Champy, directeur opérationnel d’Oppidea et copilote du groupe « adaptation » du Club Ville Aménagement qui promeut la ville comme « laboratoire du changement écologique et social », pointe une nécessité pour les acteurs opérationnels : « nous devrons nous former à ces sujets pendant toute notre vie professionnelle » car il est impératif d’« avoir des passeurs capables de traduire les connaissances en enjeux de projets ». Impératif aussi – et difficile - de « réaliser des investissements d’adaptation qui soient réellement bien adaptés à la trajectoire du réchauffement, en se projetant dans une situation pire que celle actuellement prévue ». Car la trajectoire elle-même est une incertitude qu’il faut intégrer. (MCV)

(1).     Professeure à l’EPFL (Ecole polytechnique de Lausanne et à l'IUAV de Venise, autrice du « Jardin biopolitique – espaces, vies et transition », éd. Métis Presses, octobre 2023.