La notion de proximité en urbanisme n’a peut-être jamais été autant d’actualité. En témoignent la diffusion du concept de ville du quart d’heure et le consensus autour de la densification du cœur des métropoles. À l’inverse, l’éloignement géographique et le sentiment de relégation qui l’accompagne, caractéristiques de nos banlieues et de certaines zones rurales, sont au centre des crispations politiques actuelles, dont les émeutes urbaines de l’été dernier et la crise des gilets jaunes en sont les manifestations les plus criantes. Si on comprend bien que cette idée de proximité tend à occuper le devant de la scène urbaine, comment les urbanistes, aménageurs et élus peuvent-ils l’assimiler à leurs pratiques ? Une question à laquelle les conférenciers de la 28ème Université d’été des urbanistes organisée les 29 et 30 août à Pau par le Conseil français des urbanistes (CFDU) ont tenté de répondre. Étaient présents la directrice générale de l’Anru Anne-Claire Mialot, l’ancien ministre et sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur, l’urbaniste et philosophe Yoann Sportouch et le géographe et président du CESER Nouvelle-Aquitaine Yves Jean.
D’abord évoqué sous l’angle de la participation citoyenne et de la concertation, l’ « urbanisme des proximités » - thème de cette rencontre - considère les habitants d’un immeuble ou d’un quartier comme les premiers experts de leur lieu de vie, à qui il convient de donner la parole en premier. Pour Pascal Mora, vice-président de l’agglomération Pau-Pyrénées en charge de l’habitat et des gens du voyage, qui préfère à la lettre impersonnelle le porte-à-porte pour tenir les habitants informés de la tenue d’une concertation, « les contentieux qu’on peut avoir vis-à-vis d’un projet naissent souvent du fait qu’en amont il n’y a pas eu cette volonté des élus de poser la question à tout le monde ». Fustigeant les maires qui imposent leur point de vue, les propos de Pascal Mora ont trouvé une résonance dans ceux tenus par d’autres intervenants, certains rappelant les contestations du collectif national Stop aux démolitions Anru, et la vague de réactions négatives suscitée par les projets de démolition dans le quartier emblématique de l’Alma-Gare à Roubaix. Un sujet sensible, abordé par la directrice générale de l’Anru Anne-Claire Mialot pour qui, s’il n’est pas possible de « donner satisfaction à tous les habitants d’un quartier », il faut cependant que « le processus qui mène à la décision ait bien associé tout le monde ». Et pourtant, force est de constater que de nombreux maires ne passent pas assez par la case concertation, soit parce qu’« ils ne savent pas faire », soit parce qu’« ils ne veulent pas faire ». Se pose alors la question des outils qui peuvent être mobilisés par l’Anru pour inciter ces maires à mettre à contribution les habitants. « Avant la validation du projet, nous avons beaucoup de poids parce que nous n’avons pas encore attribué les crédits. Quand le projet est déjà validé, nous essayons de convaincre de la nécessité, pour qu’un projet se passe bien qu’il soit co-construit avec les habitants, mais nous n’y arrivons pas toujours » explique Anne-Claire Mialot, précisant que l’Anru ne dispose toujours pas à ce jour d’« éléments de coercition ». Et d’ajouter : « cela fait partie de toutes les questions que nous nous posons et sur lesquelles nous essayerons de faire quelques propositions dans le rapport que nous remettrons au gouvernement », faisant allusion à la mission sur l’avenir du renouvellement urbain qu’elle s’est vu confier aux côtés de Cédric Van Styvendael et Jean-Martin Delorme, dont les résultats devraient être partagés prochainement.
Aller à la rencontre des acteurs locaux pour mieux comprendre les besoins spécifiques d’un territoire, Yoann Sportouch, urbaniste à la tête de l’agence de programmation d’usage LDV Studio Urbain, en a fait sa devise. « Il faut toujours partir des situations » explique-t-il, prenant appui sur le travail qu’il a réalisé dans le quartier Jean-Jaurès de Colombelles, une petite commune située près de Caen (Normandie), lequel consistait à imaginer les services qui pourraient être proposés dans les rez-de-chaussée d’un nouvel ensemble immobilier. C’est en échangeant avec un éducateur de rue, dont la qualité première du métier est la discrétion, permettant de tenir secret le décrochage scolaire des jeunes qui sollicitent une aide, que l’urbaniste a eu l’idée d’aménager un bureau en rez-de-jardin plutôt qu’en rez-de-chaussée, à l’abri des regards indiscrets. « Si je n’étais pas parti des situations réelles, pas seulement avec un objectif et une problématique, mais avec l’intention d’écouter les gens parler de ce qu’ils vivent au quotidien, de la façon dont ils font leur métier, et de l’expertise d’usage qu’ils ont réellement, je ne l’aurais jamais su ». Cet urbanisme aux pratiques plus souples, privilégiant le contact direct aux méthodes d’intervention plus classiques, le metteur en scène et président de l’association L’Envol Bruno Lajara l’a expérimenté à Béthune (Pas-de-Calais), en transformant un supermarché en un tiers-lieu de l’économie sociale et solidaire destiné aux élèves en situation de décrochage. Le projet s’est construit par « petits bouts » explique l’une des participantes d’un atelier animé par Bruno Lajara, « en commençant par installer un bureau et à imaginer le lieu avec un architecte du quartier, et ensuite à laisser des portes ouvertes pendant les travaux pour faire venir les gens ». Expérience concluante puisque « les gens sont venus sans jamais avoir fait de mobilisation », preuve qu’« il faut les laisser s’impliquer et avoir cette capacité collective à laisser-faire ». « Ce qu’on retient de ce projet » poursuit-elle, « c’est d’oser sortir du cadre, partir d’une feuille blanche, ce qui est très difficile pour nous parce que nous sommes habitués dans nos formations, nos pratiques professionnelles et aussi par la commande publique à ce que tout soit écrit en avance ».
Photo prise à Pau le jeudi 29 août lors d'un atelier de l'Université d'été des urbanistes. © Philippe Druon
La proximité spatiale, un enjeu de cohésion sociale et territoriale
« Je suis convaincue de la nécessité de renforcer la mixité sociale et de lutter contre la ségrégation socio-spatiale qui nuit au vivre-ensemble, à la cohésion sociale et nationale » commente Anne-Claire Mialot, citant le rapport Les territoires des émeutes de Marco Oberti au sein duquel la ségrégation urbaine apparaît comme le premier prédicteur des violences urbaines de 2023, et réaffirmant par la même occasion les principes de la loi SRU. Pour Jean-Pierre Sueur, ancien sénateur et député du Loiret ayant voté cette loi, il ne faut pas s’arrêter là ; « la mixité sociale ne peut réussir que si elle va de pair avec la mixité fonctionnelle, c’est-à-dire en veillant à ce que dans tous les quartiers il y ait de l’emploi, du commerce, de la formation, du loisir, du sport, etc., de sorte à transformer les banlieues en centralités et à aller vers une ville polycentrique ». Un modèle d’aménagement urbain en rupture avec celui « dont nous avons hérité de la fin du 19ème/ début 20ème », remettant en cause le paradigme « centre-ville, faubourgs, banlieues », et reposant sur le rapprochement des équipements, activités et services avec les lieux de vie. Celui qui a été ministre sous François Mitterrand prend pour exemple les entrées de ville, dont l’image a été mise à mal par l’agglutination des enseignes de la grande distribution, et qui doivent aujourd’hui être regagnées par l’urbanité, « en repensant d’abord les avenues, les arbres, l’éclairage, le bâti » pour y faire venir ensuite des habitants. Un travail de longue haleine, qui « aurait dû commencer il y a 25 ans » et qui n’a toujours pas été entamé. « Le problème c’est que nous vivons sous le règne de l’annualité budgétaire et que nous ne pouvons engager les finances publiques que pour un an. Le temps de la politique est court, tandis que le temps de la ville est long ».
Enfin, le président du CESER Nouvelle-Aquitaine Yves Jean s’est intéressé aux territoires ruraux qui, souvent réduits à leurs vulnérabilités, offrent pourtant de nombreuses possibilités aux villes proches, en termes de souveraineté alimentaire et économique, d’accueil de nouvelles populations ou de services environnementaux. D’autres échanges, « non matériels et non monétarisables », pourraient être imaginés entre ces deux espaces aux problématiques parfois communes telles que la pauvreté, la précarité, le développement territorial et le bien-être des habitants. Sur les pas du géographe Martin Vanier, Yves Jean propose de sortir d’une logique de silos consistant à « enfermer les politiques publiques territoriales dans les limites intercommunales » et suggère que « dans chaque équipe intercommunale il y ait un ou deux vice-présidents en charge des relations avec les territoires avoisinants de façon à porter des projets de partenariat, et une maîtrise d’ouvrage inter-territoriale. » Et de conclure : « cela permettrait d’engager une réflexion commune sur le sens du développement, sur la question de la crise écologique et du logement ».
Théo Le Franc